À travers l’horizon

Espace Napaga, Chandler

Étant le seul site classé patrimoine archéologique et naturel en Gaspésie, le Bourg de Pabos – qu’on appelle maintenant l’Espace Napaga – est un lieu de découverte et de savoir à fort potentiel. On y accède désormais en empruntant une très longue passerelle, laquelle est démantelée avant les grandes marées de septembre, puis réinstallée au printemps. Un parcours tablant sur la réalité augmentée est offert aux gens qui le désirent. Or, la passerelle est également ouverte aux promeneurs souhaitant y errer librement.

Petite coulée de plâtre creuse, la cavité évoquant l'empreinte d'un objet serti à l'intérieur d'un autre.

L’archéologie nous fait réaliser à quel point un artefact est indissociable du site où il a longtemps séjourné. Enchâssé là pendant toutes ces années, l’objet se trouve un jour mis à nu, son réceptacle restant ouvert derrière lui. La chose et son empreinte nous renseignent l’un sur l’autre, révélant l’histoire qui les lie.

Ces considérations sont de nature à nourrir des expériences en sculpture, par exemple le moulage. Au sortir du moule, un modèle laisse en négatif ses plus infimes détails, engrammés dans ce qui lui tient lieu de miroir. Les formes pleines se donnent systématiquement en creux dans le plâtre, la gauche et la droite se confondant en une masse étroitement connectée, sans faille. L’objet pourrait ultimement retourner se lover dans sa matrice jusqu’à y disparaître complètement, scellé en dehors du temps.

En atelier, je privilégie les expériences tactiles. J’appelle les idées à prendre forme sous l’impulsion d’une matière ou une technique associée. Dans le cas qui nous intéresse, l’idéation s’est développée par le biais de moulages. Ce projet s’intitule À travers l’horizon.[1]


[1]          L’horizon réfère aux coulées de plâtre dans des moules qui ont été basculés dans différentes positions. C’est ainsi que fut élaborée la sculpture. Il revoie également au niveau zéro que l’on traverse lors de fouilles archéologiques, marquant aussi une gradation du temps qui passe. En archéologie, traverser la ligne d’horizon, c’est faire un voyage dans le temps.

Montage photographique illustrant de multiples permutations d'un objet, destiné à se loger dans un moule.

Imaginons une première forme, abstraite et aléatoire, destinée à en renfermer une autre un peu plus petite. La première est peut-être une île, protégeant des richesses ancestrales encore inconnues. Tenons cette île de plâtre dans la main en se demandant s’il se pourrait qu’elle contienne quelque chose, enfoui dans la masse, l’un et l’autre étant depuis longtemps rabotés ensemble par une même ligne d’horizon.

Maquette de travail en deux parties distinctes, la plus petite se destinant à s'insérer dans l'autre.

Asymétrique, la petite forme est tout aussi abstraite et je l’ai reproduite à répétition. Les coulées se stabilisaient toujours bien au niveau et dans le même moule, que je basculais cependant à des degrés aléatoires, d’un épisode à l’autre. Or bientôt, les jongleries reprenaient de plus belle afin de la replacer dans l’habitacle de l’île, à la recherche d’un angle inédit ou d’une nouvelle configuration. Comme des éléments de mécanique, les creux et les vides s’ajustaient en se complexifiant devant moi, multipliant les options d’assemblages et d’interprétation. 

Au bout d’essais et erreurs, il était temps de trouver comment le concept, aussi fluide et fébrile qu’il pût être, allait s’incarner de manière pertinente et pérenne. J’avais fait mes expériences d’atelier, au tour des gens d’en expérimenter la fréquentation, sur un site archéologique protégeant sa ligne d’horizon par un arrêté ministériel.

Sculpture d'acier corten au moment de son arrivée à Chandler.

La sculpture, telle qu'on l'aperçoit en arrivant sur l'île. À l'évidence, on la voit de dos, ce qui incite à en faire le tour.
À travers l’horizon   2025
Espace Napaga, Chandler
Acier corten
160 x 120 x 180 cm.

À son arrivée sur l’île, le visiteur fait la rencontre d’une forme conique semblant surgir de terre comme une flèche, sinon la proue de quelque chose. Le rapport au sol est un peu ambigu, l’on pourrait même croire qu’il s’en trouve autant, sinon plus encore, sous la terre ferme. Minimal de prime abord, l’objet va se révéler peu à peu, en le contournant.

La sculpture se montre maintenant, arborant une section qui semble avoir glissé vers l'extérieur.
À travers l’horizon   2025
Espace Napaga, Chandler
Acier corten
160 x 120 x 180 cm.

Émergeant par l’arrière du monolithe, une excroissance se détache, mue par un certain glissement, rappelant le noyau d’un fruit, voire s’extirpant d’une capsule temporelle. Même étant scellés l’un dans l’autre, on devine un prolongement du volume squamé dans la masse, l’investigation n’est pas finie.

La sculpture arbore une section qui semble avoir glissé vers l'extérieur.
À travers l’horizon   2025
Espace Napaga, Chandler
Acier corten
160 x 120 x 180 cm.

Un jeu virtuel[1] lie ces deux composantes, comme un casse-tête appelant à bien étudier tour à tour les pleins et les creux. Sans les manipuler concrètement, nous imaginons de quoi sont faites l’une et l’autre composantes, comme amalgamées. Dans la masse, semblent se poursuivre des tracés qui ne nous sont pas révélés d’évidence ; un objet comme celui-là parle du temps.

Merci à Pierre Tessier, Pierrot Tessier et François Tessier de l’atelier Ricard-Tessier.


[1]          Le sens de cette pièce s’inspire de l’expérience de réalité augmentée qui est proposée aux visiteurs de ce site archéologique. 

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