Résidence suivie d’une exposition en deux lieux, soit l’église Notre-Dame-du-Rosaire et Expression, centre d’exposition de St-Hyacinthe
Tournage et montage de la vidéo : Félix Bouchard
Pourquoi donc parler d’architectures éphémères, ne croyait-on pas les avoir construites pour toujours? Qu’ont donc d’éphémère ces montagnes de maçonnerie plantées dans nos villes, les jalonnant comme autant de témoins d’un passé qu’on arrive mal à conjuguer au temps présent?
Les églises sont encore nombreuses au pays, or plusieurs d’entre elles sont barrées depuis longtemps, inoccupées. Il y a pourtant de la place dans ces enceintes. Par exemple, y en aurait-il pour des fins culturelles?
En partenariat avec la Ville de St-Hyacinthe, Expression, centre d’exposition prépare la conversion d’une de ces églises en un musée d’art et société. D’étapes en étapes, et bien avant d’ouvrir le nouveau musée, avant même le chantier de transformation, il convenait de s’approprier les lieux, se faire la main. Il était opportun d’ouvrir l’église à la population et l’nviter à sa redécouverte.
La Ville a acquis cet immeuble il y a quelques années. Il a été désacralisé depuis, dans les règles de l’art. À l’invitation d’Expression, je me suis ainsi prêté à une pelletée préliminaire au grand chantier. Une mise en bouche de ce que cela peut être que de changer l’aire d’une église où il n’y aura plus jamais de messes, ouvrir les portes centrales d’un tel bâtiment et faire entrer la lumière du jour sur une vocation à venir.

Église Notre-Dame-du-Rosaire, St-Hyacinthe
D’un lieu tellement connoté et de sa centaine de bancs au niveau zéro, on m’invitait à imaginer un état de transition jusqu’à une œuvre qui me soit personnelle, j’avais carte blanche. Outils en mains, j’entrais dans le grand vaisseau pour tasser le mobilier et voir ce que cela fait. Pour secouer un immobilisme… pour voir grand.
Combien de bouleaux jaunes sont tombés pour produire cette forêt d’agenouilloirs et de bancs d’église en convois serrés? Combien de gars au travail pour faire et refaire à l’infini ces mêmes dossiers de planches à rainure et languette, ces assises de madriers de bois franc collés, ces volutes numérotées aux extrémités? Combien de prie-Dieu en cascade pour générer dans l’enceinte de telles masses de bois ondé?
De par leur facture générale, les églises ont presque toutes en commun une certaine exubérance qu’on ne se permettrait plus aujourd’hui. Or ces luxuriantes architectures hébergeaient des cérémonies étonamment mornes, tout en retenue. C’est le souvenir que j’en garde à tout le moins. Aux célébrations, lorsque j’étais petit, j’aurais pourtant voulu arpenter sans entrave mon monument municipal, comme on effeuille un décor en trompe-l’œil. Entendre ronfler les grands orgues à plein volume, à en faire trembler les vitraux. J’aurais été ravi d’en explorer le vide sanitaire et repérer la position des colonnes puis les retrouver dans la nef et qu’on m’explique comment diable de là nos vieux se sont-ils débrouillés pour déployer une pareille voûte à quarante pieds au-dessus, dominée encore d’un pluriel de cloches tenant bon dans la tour.
Peut-être suis-je encore le seul au monde ou du village qui aurait su quoi en faire…
Personne n’est venu ici depuis longtemps. Le décorum était toujours là, certes intimidant mais surtout enivrant. Jouer avec les bancs de cette église, c’était me mettre à la suite des ouvriers qui ont sué pour les bâtir, essayer de les retrouver dans l’effort, l’odeur du bois. C’était tâter de cette éloquence qui, cette fois, pouvait changer de mains.

Église Notre-Dame-du-Rosaire, St-Hyacinthe
Bancs d’église de bois (merisier verni), bois d’œuvre (épinette)
Photo : Félix Bouchard
Très tôt, j’ai souhaité aborder cet habitacle de manière globale. Or cet espace était tout partout tramé de bancs de dix pieds, gisants de tout leur poids et vissés drus comme les mailles d’un canevas. Allais-je essayer de compromettre cette trame pour en tricoter une nouvelle? Allais-je plutôt la déchirer dans le droit fil pour en pousser des éléments en périphérie? La brèche allait-elle s’ouvrir en plein centre pour tout avaler par le fond?
Peu à peu, j’ai apprivoisé la gravité des premières journées. Je m’entendais marcher et même respirer dans le puissant écho de la nef. Je l’ai aussi entendu répliquer à chacune de mes manœuvres, aux impacts et aux grincements. Aux bancs cadenassés par terre depuis cent ans, explosant sous la traction du pied de biche puis rebondissant par terre un pouce ou deux à côté, laissant voir la place exacte où ils s’étaient depuis si longtemps engrammés et laissant l’effet d’une mâchoire qui, tout à coup, ne ferme plus pareil.
Je devais bien me mettre à l’œuvre quelque part et dissocier quelques bancs. Les soulever, les rendre disponibles à mon dessein. Rompre cet ordre centenaire puis insérer des cales peut-être, un contretemps. Je ne sais pourquoi, je m’y suis attaqué par le centre de la nef, étant vite pris de court par la rareté des zones de transit pour les y déposer. Ainsi comme le drain d’un lavabo, la petite zone de travail que j’avais créée se vit dès lors encombrée, de l’avant par les bancs d’en avant, de l’arrière par ceux d’en arrière. Un remous, une onde s’était mise en marche, emportant une à une les couronnes de résistance.

Église Notre-Dame-du-Rosaire, St-Hyacinthe
Bancs d’église de bois (merisier verni), bois d’œuvre (épinette)
Photo : Félix Bouchard

Église Notre-Dame-du-Rosaire, St-Hyacinthe
Bancs d’église de bois (merisier verni), bois d’œuvre (épinette)
Photo : Félix Bouchard

Église Notre-Dame-du-Rosaire, St-Hyacinthe
Bancs d’église de bois (merisier verni), bois d’œuvre (épinette)
Photo : Félix Bouchard
Les jours passaient. Ce qui ressemblait à une vague déferlant nord-sud s’est bientôt répercuté dans la rangée voisine, comme une petite réplique. Désormais, nous ne circulions plus autour de l’installation mais à travers.

Église Notre-Dame-du-Rosaire, St-Hyacinthe
Bancs d’église de bois (merisier verni), bois d’œuvre (épinette)
Photo : Félix Bouchard

Église Notre-Dame-du-Rosaire, St-Hyacinthe
Bancs d’église de bois (merisier verni), bois d’œuvre (épinette)

Église Notre-Dame-du-Rosaire, St-Hyacinthe
Bancs d’église de bois (merisier verni), bois d’œuvre (épinette)

Église Notre-Dame-du-Rosaire, St-Hyacinthe
Bancs d’église de bois (merisier verni), bois d’œuvre (épinette)
Photo : Félix Bouchard
Si la résidence dans la nef visait à convertir l’espace lui-même, des sculptures autonomes s’y préparaient aussi, destinées à la salle d’exposition d’Expression, à deux ou trois jets de pierre de là. À ce stade, l’église n’était plus seulement le site d’une installation, c’était aussi un atelier. L’atelier de quelque chose qui allait partir.

Bénitier de granite, bois (merisier provenant d’un banc, épinette)
94 x 85 x 330 cm.
Collection Expression, St-Hyacinthe
Comme le siège d’une rotule, comme le mortier d’un pilon, comme le nid d’un œuf dur ou la matrice d’une chose à venir, cette cavité demi-ronde m’était un appel à l’action : j’allais asseoir quelque chose dedans, n’importe quoi, partant vers n’importe-où. FM


Agenouilloirs d’église en bois (merisier), câble de sisal, acier
135 x 76 x 170 cm.
Collection Expression, St-Hyacinthe
Parfois, même les choses qui tombent le font avec grâce. FM



Agenouilloirs d’église en bois (merisier), acier
72 x 153 x 45 cm.
Photo : Félix Bouchard
Collection Expression, St-Hyacinthe
Posés à cette hauteur, je suis maintenant un peu plus à mon aise pour observer les objets que j’ai là, même qu’il est désormais possible de songer à en faire autre chose. FM.

Agenouilloirs d’église en bois (merisier), acier
48 x 46 x 25 cm.
Collection Expression, St-Hyacinthe
Puisque la pièce était déjà perforée et que j’en avais beaucoup, il était trop tentant d’en boulonner plusieurs pareilles et les faire pivoter ensemble autour de cet axe aléatoire. Et si l’assemblage se mettait à tourner très vite, peut-être serais-je sidéré de n’en voir qu’une seule, perdue dans un effet stroboscopique. Cela pourrait aussi ne pas arriver. FM.


Bancs d’église en bois (merisier), bois d’œuvre (épinette)
287 x 297 x 220 cm.
Collection Expression, St-Hyacinthe
Les étais étant des supports provisoires, ils se déploient fébrilement. On ne suit pas exactement les plans, on tente de faire tenir des choses entre ciel et terre. Après deux ou trois étais, d’autres suivront peut-être parce qu’il le faut ou encore parce qu’on le veut. La même construction se déclinera toujours un peu différemment à chaque fois, parce que l’art est d’abord un acte. FM.

Photo : Félix Bouchard

À droite, Fût polygonal flanqué d’un contrebutement 2024
Photo: Félix Bouchard

Bancs d’église et agenouilloirs en bois (merisier), bois d’œuvre (épinette)
204 x 330 x 550 cm.
Photo : Félix Bouchard
Collection Expression, St-Hyacinthe
Occasionnellement, un terrible bruit d’impact emplissait l’écho dans la nef. Il s’agissait toujours d’un agenouilloir qui ne roulait jamais bien loin cependant, on le relevait discrètement avec le pied. Or le trivial attend son tour pour se reprendre et même plusieurs fois, aujourd’hui même ou un autre jour. FM.



Les architectures éphémères dont on parle sont des monuments centenaires. Ce sont aussi les miennes, mes architectures privées. Des élucubrations un peu hasardeuses et fébriles qu’on ne saurait refaire à l’identique, du fait de leur facture intuitive et surtout, du fait que leur répétition ne saurait être pertinente.

Suit une présentation de l’exposition Chemin de croix, des commissaires Suzanne St-Amour et Anick Chandonnet
Tournage et montage de la vidéo : Félix Bouchard
Merci à la Ville de St-Hyacinthe et à l’équipe d’Expression, pour leur confiance totale à mon endroit.
Merci également à Étienne Rocheleau, pour son assistance au quotidien.
Ce projet a été soutenu par le Conseil des arts et des lettres du Québec.

