Mythes et réalités sur les étirements

Intitulé Pilonner pour faire, le programme de travail s’est d’abord présenté sous les traits d’un banc d’essai. Les expériences allaient porter sur une machine, une seule, que j’avais acquise quelque temps auparavant. Trouver un certain confort d’utilisation pour ensuite en introduire un contremploi, c’était mon ambition.

Le piston hydraulique allait se laisser apprivoiser tranquillement. J’allais bientôt concevoir divers gabarits appelés à s’installer dessus par paires : des formes et contreformes. Des pilons et mortiers. Fidèle à la direction que j’ai empruntée ces dernières années, l’intention était de produire des formes rondes, tassées contre les parois du mortier. Des formes vides, écrasées contre les parois du pilon.

Jusqu’à cette étape, le thème du pilonnage me semblait juste. J’écrasais quelque chose jusqu’à le voiler en des coques de surfaces plus ou moins grandes mais d’un même diamètre. Assez vite s’est amenée une autre procédure, soit celle de conserver le pilon seulement puis d’étirer plus encore la matière qui, dès lors, menaçait même de se déchirer sous l’effort de traction.

J’obtenais ce qui peut s’apparenter à des pixels interchangeables et capables de se rejoindre en un point donné, si l’on en a assez. Comme des fragments de carapace, s’unissant pour couvrir quelque chose en dessous.

Il m’a bien fallu créer quelques-unes de ces formes creuses pour ne plus m’y reconnaître dans le parcours. Il est très courant de concevoir une sculpture occupant un espace donné. Cette fois-ci, la sculpture elle-même contenait un espace en son sein : c’était encore sculptural mais à l’envers, en quelque sorte.

L’étude 4 implique deux matériaux qui ne se comportent pas du tout de la même manière au moment de les façonner. Aussi il va de soi que l’un et l’autre renvoient à des répertoires d’assemblage différents, alors qu’on a l’habitude de voir de l’aluminium riveté et du cuir cousu, à quelques exceptions près.

Curieusement, l’étude 3 s’est amenée un petit bout à la fois, au terme de longues permutations. Si à terme le binôme semble couler de source, cela tient au diamètre identique des deux parties, pour un rendu plutôt minimal. Je trouve que cet objet a l’air de s’être créé lui-même, l’une des composantes s’affichant à l’origine de l’autre. Or ni le pilon ni le mortier qui sont responsables des opérations ne sont restés dans le forfait.

Même les objets abstraits présentent un fort potentiel d’évocation. Comme une équation, leur échelle, leur composition formelle, évoquent une idée de résolution, résumée à l’intérieur d’un petit diamètre. S’ajoutent les choix de matériaux comme autant d’affects venus de partout pour se fusionner ou encore rester en tension.

Les formes comme les matériaux sont porteurs d’affects dont on ne cerne pas toujours la provenance. Plusieurs sont sans doute de nature culturelle. Les solutions techniques sont aussi parfois très impliquantes jusqu’au point de provoquer envoûtement chez les uns et répulsion chez les autres. Du fait des sensations aussi paradoxales qu’elle peut éveiller, une œuvre abstraite est d’autant plus forte qu’elle reste équivoque.

Il a fallu marier en permanence les composantes de l’étude 2 pour simplement la voir dans son état. Il a ensuite fallu la lâcher pour qu’elle oscille pendant un moment jusqu’à se stabiliser dans une posture impossible à prédire. On ne peut pas produire deux fois un objet comme celui-là. Et si l’on insiste pour le faire, il insistera lui aussi pour nous amener ailleurs.