Voussures 2023
Bureaux municipaux, bibliothèque et centre communautaire, église Saint-Philippe et Saint-Jacques
Architecture: AnneCarrier architecture
Réalisation: Ludovic Boney inc.
L’an dernier, mon neveu est venu visiter l’atelier avec ses deux jeunes enfants. Aussitôt m’est revenu le souvenir de la fois d’avant, il y a plus de vingt-cinq ans, alors qu’il accompagnait lui-même son père et sa petite sœur dans ce même atelier que je venais tout juste de construire et où aucun outillage n’était encore rentré. Spontanément, les deux enfants s’étaient mis à courir en rond dans l’écho et l’espace totalement vide, comme sur une patinoire.
À cette époque, j’arrivais tout juste en milieu rural, quittant pour toujours la ville et l’atelier qui était mon refuge de création. Un autre atelier allait enfin m’accueillir quelque part afin que je redevienne celui que je voulais être. Plein d’écho, il allait d’abord être vide, et c’est important, appelant ensuite une à une les additions que j’allais y faire par mes activités d’artiste.
Parfois c’est juste un espace qui nous parle. Un espace vacant qui nous surprend un peu, alors qu’on s’attendait de le voir encombré de bancs solidement vissés par terre. Non encore qualifié, le vaste volume de la nef parlait d’avenir et d’ambitions. Une aire de défis, peut-être trop grande quand on n’en a pas l’habitude, ponctuée de quelques piliers. On les aurait d’ailleurs cru posés là juste pour accueillir les hauts rideaux noirs, lesquels pourront aisément se déployer dans toutes les directions, permettant une panoplie de configurations.
Sans aller jusqu’à dire que ces rideaux rendront possibles à eux seuls les réaffectations à venir, ils incarnent une nouvelle convivialité pour faire les choses ici, tasser les murs sans efforts et briser un immobilisme. En outre, ces drapés induisent une idée de sinuosités, en rupture avec la symétrie de l’architecture. On veut signifier que quelque chose s’est assoupli, cette église n’est plus pareille en dedans. Elle abritera des rassemblements semblables à ceux d’avant mais aussi de nouvelles activités, dépassant le cadre qu’on lui connaissait jusqu’alors.

Voussures[1]
En art public, il vaut la peine de se rendre souvent sur les lieux afin de se laisser prendre par une impression, un détail, un mince filament qu’on rapportera en atelier. Tout seul, on va voir chaque jour s’il est encore là, si l’on peut tirer un peu plus sans le rompre. Puis l’on se met au métier pour en tisser quelque chose qui soit à la fois nouveau mais aussi très ancré, là d’où il vient : un fil conducteur.

Il est plutôt rare que je fasse appel à la figuration dans mon travail. Dans le cas qui nous intéresse, la souplesse d’un drapé est mise de l’avant dans une conception minimale. Cela commence avec un tuyau d’aluminium de bon diamètre que l’on a légèrement courbé. Ce gros tuyau voilé fut ensuite refendu dans un angle composé. Les deux moitiés étant séparées, elles furent dépliées côte à côte pour en faire un binôme ; on a simplement ouvert quelque chose en deux pour mieux le redéployer, le faire gagner en surface.


Il arrive qu’on voit éclore une forme toute simple, dès qu’on l’aborde dans un angle inédit. On a alors l’impression de redécouvrir ce que l’on croyait connaître, on en constate la richesse et le potentiel.
[1] En architecture, une voussure se rapporte au profil cintré d’une voûte ou d’un arc. Ce titre délibérément abstrait parle en somme d’une manière d’introduire du relief et des courbes dans un système d’ordinaire rigide, tel un appareil de maçonnerie.
