
Essai portant sur les cloches en tant que sujets de culture, au Québec et ailleurs dans le monde. Publié aux Éditions Septentrion en 2010.
J’ai toujours été émerveillé par les savoir-faire traditionnels. D’abord ceux des gens qu’on n’a pas connus quelque part dans les vieux pays mais aussi ceux d’artisans qui auraient pu avoir côtoyé mes arrière-grands-parents, par exemple. Comme beaucoup, j’idéalisais un peu ces siècles de nécessité durant lesquels il fallait faire bien et pour longtemps, avec peu de ressource trébuchante mais beaucoup d’amour et d’abnégation. Trouver ce comment on peut amener à soi un matériau, vil ou précieux, pour le façonner comme il doit l’être, parce qu’on n’a pas encore inventé la machine qui l’y enverra par la force. Ces artisans-là, j’en avais fait mes héros de l’ordinaire.
Les vieux nous ont laissé des réalisations qu’il vaut la peine d’examiner et apprécier. Le mobilier, les maisons mais aussi les commandes plus ambitieuses de l’Église qui, plus que tout le monde, s’est fait un point d’honneur de normaliser l’excès. Durant ses années glorieuses, l’impressionnant parc immobilier des évêchés était un chef-lieu d’où émanaient de tranchantes décisions quant à ce que le Québec allait être et devenir. Or en peu de temps, et je l’ai vu de mes yeux, ses actifs se sont alourdis d’un irréversible désaveu.
Sur un plan personnel, je n’ai pas été oppressé par ce patrimoine et ce qu’il représente. Au contraire, je garde d’excellents souvenirs du couvent de mon village natal par exemple, où une charmante religieuse nous donnait des cours de piano. Toutes les semaines et pendant plusieurs années, j’avais rendez-vous non pas dans le couvent d’un village anonyme mais dans un majestueux conservatoire vide où la musique était un art supérieur, une alternative à la banalité que j’aurais trouvé partout hors de ses murs. J’ai pleuré comme un veau lorsque le magistral bâtiment a été rasé sous mes yeux pour laisser place à la construction d’une petite clinique médicale qui est peut-être encore là aujourd’hui.
Graduellement déserté et de plus en plus mal en point, le bâti clérical ne pouvait dégringoler ainsi sans laisser son apanage en vacance aux fins quelque autre vocation, en phase avec des valeurs d’aujourd’hui. Quelles seraient-elles, ces valeurs? Qu’allions-nous désormais y célébrer périodiquement? En quoi allaient être transformés les lieux de croyance de ceux qui ne croient plus? Candidement, et puisqu’il y en avait partout, j’ai posé l’hypothèse que les succursales du culte étaient mûres pour une conversion en culture.
Dans les années 1990, j’étais encore un jeune artiste qui cherchait ses héros et j’en ai trouvé quelques-uns dans les films de Pierre Perreault. Ainsi j’ai écumé des tas de livres expliquant la construction des goélettes, des moulins à vent, des maisons coloniales comme des cathédrales. J’étais issu d’une époque où l’on allait à l’église sans savoir qui l’avait construite ni comment. C’était quand même quelque chose de voir subsister les reliques de cette religion partout et sous toutes les déclinaisons possibles, des croix de chemins aux immenses ensembles institutionnels, sans compter les hauts clochers dont on ne perçoit que les amorces carrées jusqu’à en deviner les vertigineux points de fuite. Je posais l’hypothèse qu’un travail de sculpture bien de son temps saurait tirer quelque héritage tout cela, ne serait-ce que sur un plan matériel.
On se laisse parfois porter par des intuitions dont les aboutissants nous échappent un peu. J’aurais pu m’inscrire en maîtrise pour jaser de patrimoine religieux avec des artistes. Or à la place, je me suis bel et bien inscrit en maîtrise mais auprès d’historiens, avec l’intention de parler de création.
C’est à l’Université du Québec à Trois-Rivières que j’ai amorcé un travail de recherche visant la culture matérielle qu’il me fallait tout de même asseoir sur une base historique. N’étant pas historien, je ne le suis pas devenu. Cependant, j’ai trouvé en Études québécoises un solide encadrement qui m’a certes fait dévier de ma route mais qui posait un défi tout autre qu’en arts, par exemple. De fil en aiguille, il a fallu resserrer le sujet. L’état des lieux, toujours bien trop large, s’est enfin vu consacré à la question des cloches d’église. L’idée qui survole mes cloches consiste en ce qui, par-delà le fait religieux, en a fait – et en fait encore? – des sujets de culture.
S’il subsistait dans cette maîtrise un mince fil associable à la sculpture, c’étaient les cloches qui l’incarnaient le mieux. Mieux que tout autre objet du culte, les cloches étaient de laborieuses et rutilantes machines ayant, paradoxalement, un rôle de dépassement du fait matériel. D’immenses et dangereuses coulées de bronze basculant au-dessus de nos têtes, accrochées bien trop haut pour qu’on puisse en prendre la mesure. De graisseuses mécaniques qu’on suppose maculées de fientes de pigeons, vibrant périodiquement sur des kilomètres pour nous appeler à se masser en dessous. Comme bien d’autres engins qu’on lie à des engrenages pour les associer à un rôle utilitaire, les clochers étaient des chambres de machines placées en surplomb des espaces de vie et dont l’énergie semblait se perdre dans l’air, comme cherchant un canal ou quelque organe encore atrophié, attaché au bout d’un nerf. Je voyais en tout cela quelque chose qui émerveille et déconcerte en même temps. Quelque chose qui fait aussi penser à l’obstination des artistes qui, seuls dans leurs ateliers, lancent de secrètes incantations dans des matières qui, soudainement, semblent s’animer.
De ces cloches-là, j’avais bien beau aller en soupeser quelques-unes à la faveur de permissions qu’il aurait été possible d’obtenir dans le cadre d’une recherche de deuxième cycle comme celle-là. Un autre que moi se serait gâté mais j’avais toujours trop peur pour m’aventurer le long des branlantes échelles. Mon boulot était plutôt de rester en bas et les documenter.
En fin de parcours, j’ai déposé à l’UQTR un mémoire qui a été très bien reçu, assez même pour me valoir la proposition de l’adapter pour une prestigieuse maison d’édition, soit chez Septentrion.
Je désire remercier madame Lucia Ferretti qui m’a dirigé dans ce long parcours avec la rigueur et la bienveillance qui ont fait sa réputation. Je remercie également le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada qui a soutenu financièrement la rédaction de mon mémoire. Le campanologue Michel Lucien Rowan m’a par la suite beaucoup aidé à bonifier la version publiée.