
Une sculpture, même entièrement planifiée et résolue sur un plan conceptuel, n’en est pas une tant qu’elle n’existe pas concrètement. Sa mise en œuvre pourra encore générer des rebondissements insoupçonnés, que ce soit sur sa propre destinée ou même d’autres qui vont se révéler dans le temps.
J’ai d’abord sculpté un volume de bois très minimal, une forme qui par ailleurs est passée bien près de demeurer telle quelle. Façonnée dans ce qui semble être du mélèze, j’appréciais son poids bien conséquent ainsi que son centre de gravité très bas qui, cependant, lui accordait toujours une certaine fébrilité quant à sa position : c’était un objet symétrique mais très dynamique.

Bois (brûlures localisées), huile de lin et cire d’abeille, acier inoxydable
112 x 28 x 50 cm.
J’ai tout de même pris la décision de le confier à un ami chaudronnier en vue de produire la même forme mais en laiton. Les choses se passent comme cela, cette sculpture de bois est devenue la simple matrice d’un objet un peu plus noble peut-être en raison de sa matière et qui méritait tout autant d’exister, ce qui fut fait.

Puisque je souhaitais garder apparents les cordons de soudure sur la pièce de laiton, j’ai fait des tracés non-permanents sur la surface de bois afin de bien localiser leurs positions. Le chaudronnier les a respectés dans son travail à lui, qui consistait à redresser ses coupes à la rectifieuse directement contre la surface pour ensuite fixer les plaques en position à l’aide d’une grande quantité de clous. Ajoutons enfin les brûlures localisées partout où il a eu à souder les petites plaques martelées. Les tracés non-permanents ont été respectés mais ils ont devenus permanents, conséquence d’un travail de seconde génération, lequel a même conduit à produire une nouvelle sculpture.
La pièce Turbulente est issue de ce travail de chaudronnerie contre le beau fût de mélèze mais même là, pas directement. En première instance, la forme s’est vue reproduite intégralement mais pour toutes sortes de raisons, elle ne me plaisait pas tellement. Comme le disait ma mère, je suis capable d’aimer plus que cela. Ce sont alors les tracés du chaudronnier que j’ai suivis pour sectionner la coquille en deux. L’histoire de la pièce Turbulente se raconte désormais pour elle-même, comme celle d’un jeune adulte pour qui tout reste à faire, bien qu’il sache d’où il vient.
Revenons un peu à la pièce Fuselage zébré, telle qu’elle se trouve aujourd’hui. Puisque la matrice de bois était bien symétrique, le chaudronnier a façonné les deux moitiés de son ouvrage contre la même section de la matrice, laissant l’autre face intacte. Les profondes stries qu’avait faites le chaudronnier dans le bois me plaisaient parce qu’elles étaient liées à un processus réel et différent mais tout aussi révélateur. Je lui ai alors demandé de suivre encore ces tracés mais cette fois, pour y construire un ouvrage d’acier inoxydable.
J’ai parlé tantôt d’un état intermédiaire comme d’une coquille… En la coupant en deux pour en recycler un bout, je vous laisse imaginer qu’il traîne une autre moitié quelque part. Une coquille désormais ouverte, quelque chose qui n’est pas encore une sculpture.
Même les objets inanimés ont une histoire.