
Secteur de la traverse, Lévis
Bronze
Chaque élément : 62 x 120 x 535 cm. Occupation totale : 1.20 x 5.35 x 12 m.
Le secteur de la traverse de Lévis n’est jamais resté pareil bien longtemps, ayant connu de multiples mutations au cours de son histoire. Les incendies, l’âge d’or et le déclin du transport ferroviaire, les rapides mutations des activités industrielles et des technologies, émaillent un paysage impossible à figer dans le temps.
Tous les lieux renferment un potentiel d’insolite, offrant des angles divers qu’un artiste peut essayer d’interpeller comme entrée en matière. Sans chercher à les illustrer, je les garde en moi au travail, comme un état d’esprit qui s’installe tranquillement dans l’atelier. Telle que je l’y ai perçue, cette énergie spécifique au lieu finira par m’accompagner dans une dynamique sculpturale, une expérience esthétique.

Il m’importe d’introduire une œuvre avec pertinence dans un environnement donné et plus encore lorsqu’il s’agit d’un espace public. Pour le secteur du Quai Paquet, je retiens l’idée générale de changement et d’adaptation. En ce sens, j’ai imaginé quelque chose qui se dresse, non pas à la manière d’un monument solidement ancré dans le granite mais celle d’une présence souple et opportuniste, basculant en position debout aussi longtemps que les conditions le permettront. À l’appui, ces formes verticales présentant des bases apparemment oscillantes.
Si les fûts semblent chaque jour en proie à de nouvelles rotations, la station à peu près verticale évoque un fébrile équilibre. Semblant simplement déposées sur le sol, les figures graciles se tiennent en oblique en dépit des vents dominants, en négociation avec un monde qui change et changera encore.
Bien que les trois éléments soient placés en ligne droite le long de la voie cyclable, leurs têtes semblent tracer un arc bifurquant vers le fleuve. Auraient-elles pivoté sur leurs bases? S’apprêtent-elles à se redresser parfaitement comme les mobiliers urbains des environs ou vont-elles au contraire s’affaler sur le sol ? Certains verront dans les grandes rotules un vocabulaire tiré de la mécanique, d’autres reconnaîtront des articulations plus anthropomorphes. Ne serait-ce que d’un point de vue fonctionnel, ces présences insolites arborent certainement le vocabulaire le plus improbable pour évoquer la stabilité. Le changement alors ?
Mon approche est le plus souvent abstraite. Or à mesure que la sculpture commence à trouver sa dynamique intrinsèque, peuvent apparaître par elles-mêmes des références associables et que j’accueille volontiers. Comme les double-sens qui viennent avec les mots, les formes et leur matière, la présence et son échelle, réveillent toutes sortes d’affects qui ne sont pas toujours les mêmes d’une personne à l’autre. Cela en élargit le sens, le rendant moins univoque.
Notamment, de longs fûts comme ceux-là habitent un paysage maritime d’une manière plus évocatrice qu’ils le feraient ailleurs, un peu comme si l’on y voyait des mâts. Tout près de l’ancien chantier naval, on croirait aussi voir des roulements à billes surdimensionnés comme on se les imagine sur ces immenses bateaux ou encore pivotant d’impossibles cadrans. D’autres verront des balises flottantes, lesquelles se dressent inlassablement au-dessus des vagues. Non pas en s’imposant par la force mais en se replaçant peu après qu’on les ait vues tanguer.
Un fût, ce peut être bien des choses si l’on se fie aux définitions usuelles. Cela permet de garder le sens ouvert ou plutôt, dirigé vers les objets eux-mêmes, plutôt que sur une symbolique qu’ils seraient chargés d’illustrer. En somme, j’ai choisi ce titre non pas pour désigner quelque chose que l’on connaît mais pour parler de sa forme et sa présence matérielle.
La réalisation
Un sculpteur est toujours content lorsqu’apparaissent dans sa tête les intuitions de départ. Or pour moi, le travail manuel est la période la plus faste en retournements parce que dès lors, les idées ne font plus le poids devant ce qui se présente plus concrètement. On se dirige résolument vers des expériences plus empiriques alors qu’un choix de matière ou même un lent travail de façonnage tiennent le rôle principal.
Le bronze est une matière associée à la mémoire et au patrimoine. On le qualifie à juste titre de matière noble. Or en s’éloignant du langage plus connu de la statuaire, on est à même d’apprécier sa grande polyvalence. Il est presque même déroutant de voir utilisé un matériau capable d’aussi fines subtilités – même les canons sont le plus souvent très ornementés – pour produire des formes somme toute très minimales. Cela étant, le bronze invite à une panoplie d’approches du matériau et je ne m’en suis pas privé.


C’est à mon atelier de St-Sylvestre qu’ont commencé les premières étapes de façonnage. Depuis plusieurs années, j’entretiens une fascination pour la forme sphérique qu’il m’a alors été possible de revisiter dans une matière très sensuelle et subtile mais aussi extrêmement délicate qu’est le plâtre. Moulant ensuite cette forme avec autant d’égards que l’aurait été un objet finement texturé, je fus à même d’expérimenter – à l’envers – le même standard de précision que l’on porte aux éléments mécaniques, par exemple. Curieusement, une forme aussi minimale ne pardonne aucun écart quant à sa forme générale ou de possibles accidents de surface. La fragile sphère de plâtre s’acquitte de son rôle jusqu’au sortir du moule, alors qu’on peut enfin en disposer.






L’étape finale consistait à enfiler les sculptures à l’intérieur de pieux vissés, afin d’obtenir une installation subtile et fiable.
Pour cette réalisation, merci à mes amis de l’Atelier du bronze d’Inverness.