Une surface en construction premier déploiement

Parfois, un projet peut s’entamer sur un air de gageure et il n’est pas toujours facile d’imaginer où il nous conduira. Il est par ailleurs plutôt rare que je griffonne avant de me mettre au travail, je ne suis pas si intéressé de connaître la fin avant de commencer. Sans trop me perdre dans les calculs, je suis souvent capable d’imaginer un système pour commencer à mon aise puis des ajustements pour y donner suite jusqu’à mi-chemin, là où m’attendra un mur d’interrogations qui s’occupera de lui-même le temps venu, dans sa page du calendrier.

Mes actions s’ébauchent souvent à partir d’un protocole donné. Ces protocoles sont autant de cycles qui me voient répéter la même chose en spirale. Mieux encore, il peut me garantir un déploiement certes anarchique mais toujours à même distance d’un centre établi quelque part, comme des éclaboussures se déposant toutes contre les parois translucides d’un espace de travail. J’ai bien – encore – parlé d’une sphère.

À peu de choses près, un dôme est un tas où dans le temps se sont amalgamées des choses, des actions, des répétions de choses et d’actions. Un protocole limité à l’intérieur d’un rayon donné. Ici, un 4×4 de bois traité coupé en deux, donnant un rayon de 4 pieds. À ce rayon correspond un 6×6 d’une courbure qu’on peut facilement tracer avec une ficelle ou une baguette, en guise de compas.

Sur ces résolutions de base, j’ai construit une bonne quantité de modules identiques : un rayon de quatre pieds, fiché à tenon et mortaise dans un arc de courbure conséquente. Un point a été tracé quelque part sur le plancher de l’atelier et de ce point, toutes les actions allaient suivre.

Les premières opérations se sont déroulées en aplat, tout comme le dessin que je n’ai pas fait. Il s’agissait alors simplement de déposer au sol les quelques premiers éléments, leurs pointes s’effleurant toutes au même endroit. Le deuxième rang chevauchait les joints du premier, comme dans un appareil de briques. Déjà se formaient de petits écarts de lumière entre les massives pièces de bois, quelque chose qui fait penser à une marge d’erreur. En outre, il me fallait prendre acte d’une certaine élévation de la construction dans la périphérie alors que pour leur part, les rayons s’échouaient toujours au sol et dans un angle de plus en plus important. Cela tombe sous le sens. Un dessin, même en caractère gras, n’a aucune épaisseur. Or une répétition de traits tracés pièce sur pièce ont tôt fait de s’ériger en parois. Bien que la chose fût envisageable dès le départ, c’est à travers les quelques rangs suivants que la courbure commençait à se confirmer non pas juste en aplat autour des pointes, mais aussi en élévation. La marge d’erreur du début a tôt fait de prendre d’importantes proportions, plus même que celles des arcs de 6×6. Eh bien oui, je n’étais pas en train de construire un cylindre, mais un dôme.

Sculpture de bois formant un dôme.
Une surface en construction – premier déploiement   2016
Bois, résine d’époxy
250 x 200 x 120 cm.
 Photo: Charles-Frédéric Ouellet

Quand on s’enferme pendant des semaines entières dans un atelier à suivre des lubies, le sens du merveilleux devient prégnant. Cette petite marge d’erreur qui s’est doucement immiscée dans le processus est vite devenue un puissant motif, irrégulier mais cohérent avec un mode de fabrication qu’il fallait mettre en œuvre pour en vivre pleinement les rebondissements.

Aussi, pourquoi ai-je ainsi badigeonné le dôme d’une rutilante résine? La réponse rapide renvoie à des considérations d’avenir. J’aimais tellement cette forme et son rendu qu’il me semblait qu’elle devait en enfanter d’autres dans le temps, que ce soit en la moulant ou en en prélevant des patrons de coupe, ce qui fut fait. En outre, j’aime bien l’idée que parfois, un objet puisse être associé – ou même réduit – à son enveloppe extérieure. Si tel est le cas, cette surface de quelques microns d’époxy pourrait être à elle seule la sculpture. Une très mince coquille, une fragile surface s’appuyant sur une laborieuse structure porteuse, d’où le titre Une surface en construction. Là encore, il y a un théâtre qui se joue entre l’objet inutile et la fonction qu’on lui accorde néanmoins, soit d’en générer d’autres. Cette fonction comporte aussi ses enjeux esthétiques, ses jongleries ontologiques.

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