
Préfecture de Sainte-Marie – MRC de la Nouvelle-Beauce
Aucun acquis ne résiste pour toute la vie aux tests de la réalité. Par exemple, la spectaculaire crue des eaux qui a frappé la région en 2019 a mené ses décideurs à redéfinir totalement les schémas d’implantation sur le territoire. Le cas de la MRC est d’autant plus éloquent de par sa localisation même sur les terres inondées, alors qu’elle a dû raser ses propres locaux.

La dalle de l’ancien site administratif porte encore les traces de son organisation spatiale mais aussi des événements météorologiques qui ont mené à sa destruction. La distribution des locaux y est encore bien apparente, sur une trame géodésique d’échelle humaine tracée par les tuiles de linoléum aux dimensions standardisées.

Je suis souvent retourné voir cette dalle qui ranime des souvenirs personnels mais également des repères collectifs liés à une période donnée. Par-delà les éléments reconnaissables et anecdotiques, un certain degré d’abstraction permet aussi de voir plus largement un paysage parcouru de trames rectilignes pour mieux s’y repérer, un espace arpenté à des fins d’occupation humaine.

La gestion du territoire se mesure aux mêmes défis que la recherche en arts visuels, alors que des situations de tous ordres se présentent à notre jugement : qu’en est-il de cette chose que je n’ai jamais vue? Que dois-je en comprendre? Est-ce que je me sens menacé ou stimulé?
Il est possible de s’adapter à un monde qui change pour peu qu’on fasse preuve d’ouverture pragmatique et de confiance.

Ne ressemblant en rien aux salles très épurées des musées, les bâtiments publics comportent des attributs qui sont parfois difficiles à apprivoiser pour un artiste appelé à y travailler. Or ces difficultés renferment aussi le potentiel de devenir signature, du moment qu’on sait les aborder constructivement pour en dégager du sens. J’accorde donc toujours beaucoup d’attention à la manière même d’implanter mon travail sur place. D’un environnement à l’autre, les solutions structurales de l’œuvre sont appelées à y jouer un rôle prépondérant et onirique.

Pour cet immeuble abondamment vitré en façade, le programme de travail s’établit en hauteur, dans une zone tout ouverte sur plusieurs planchers où on nous invite à y aller en suspension. Pour un moment, oublions donc les appuis au sol, plus coutumiers et confortables, qui sont partis avec nos repères suite aux tristes événements de 2019. Essayons au contraire de voir ce territoire avec un nouveau recul et depuis les airs, comme si nous avions à tout recommencer.


D’une topographie accidentée, la Nouvelle-Beauce pose un défi d’établissement qu’il faudra cartographier et soumettre à des idées neuves. Aussi le fait même de suspendre un objet donne l’occasion d’arrimer des formes organiques à une contrepartie bien plane et même quadrillée, à la manière de statistiques ou d’une carte géographique. Même le centre de gravité de l’œuvre sera pris en compte dans un système constructif très empirique, une logique sculpturale.
Il ne s’agit pas de représenter quoi que ce soit mais de travailler dans un état d’esprit qui soit en phase avec le vide qui prend place entre les vieilles idées et les nouvelles, avec le changement qui supporte cette relocalisation.
Espace géographique[1]

Bois cintré (franc-frêne), bronze, acier inoxydable, éclairage DEL.
Élément principal, 122 x 370 x 200 cm. Incluant les suspensions, 122 x 450 x 420 cm.

Un croquis tout en courbes se déploie dans les airs tel un balayage topographique, en raison du parallélisme de ses longs méandres blonds le long du boulevard. Ce pourrait être une portion de paysage vallonné qu’on tentera d’arpenter ou de diviser en lots. Cela ressemble aussi aux aléas qui se présentent au quotidien dans la gestion du territoire avec la projection qu’on peut en faire dans le champ de la cartographie, l’économie, la démographie. De l’intérieur comme de l’extérieur, on remarque par ailleurs que les tracés de bois y sont les seules courbes, entourées qu’elles sont d’éléments architecturaux rectilignes. Tout le reste se présente comme des repères de positionnement.

Par endroits, on peut aussi apercevoir des volumes très similaires aux ampoules fonctionnelles qui, cependant, sont faits de bronze. D’apparence plutôt lourde, ils semblent jouer le rôle de ballasts pour assurer l’équilibre du grand œuvre tenu en léger porte-à-faux côté Sud. Il s’agit aussi d’un clin d’œil à la présence matérielle des appareils d’éclairage au sein même de la proposition visuelle, ce qui les rend agissantes sculpturalement parlant et ce, même lorsqu’elles sont éteintes. C’est un peu la même chose pour les câbles de suspension qui sont très nombreux, toujours pour des raisons esthétiques ; le même langage structural se déploie avec les câbles comme les tiges d’acier inoxydable.


La réalisation
La matérialité même du travail de sculpture donne de nombreux indices sur le sens à y accorder. Avant de passer aux éléments linéaires et métalliques de cette installation, je voulais démarrer avec des variables plus organiques dans leur apparence mais aussi leur matière : le bois apporte une contribution très sensuelle à l’ensemble. Je réalise toujours moi-même les éléments de bois. Parce que je peux le faire mais surtout, je ne me passerais jamais du plaisir de ma fréquentation de longue haleine avec ce matériau.

C’est en passant d’un prototype à l’autre que j’en suis venu il y a longtemps à bâtir mon étuveuse modulaire. On peut plier à la vapeur un certain nombre d’essences de bois mais cette fois encore, le franc frêne a fait honneur à sa réputation pour y arriver. C’est par l’addition de minces couches successives que furent façonnés les collages contre des gabarits de contreplaqué.

Ensuite, j’ai déployé sommairement les éléments organiques dans le vide puis les trames quadrillées non loin à l’horizontale afin de soumettre, une à une, des options de relais en ligne droite entre les formes. D’abord pour les réunir en une même structure mais aussi, ce faisant, pour établir les liens conceptuels entre les uns et les autres. Parlons de théorie et de pratique peut-être ou encore d’idéaux à l’égard d’une mise à plat visant leur réalisation.



Merci à l’Atelier du bronze d’Inverness ainsi qu’à l’équipe de Ludovic Boney, de Lévis.
[1] Tout espace géographique est le résultat de l’histoire et le produit du travail des hommes puisque chaque société a sa propre façon de s’organiser et laisse ses traces dans le paysage… l’espace géographique contrôlé sous un ordre administratif prend la désignation de territoire et peut être constitué de différentes entités, telles que les municipalités, les comptés, les provinces ou les régions. Lesdefinitions.fr