
Résidence au Studio de création – Fondation Huguette et Jean-Louis Fontaine, Université de Sherbrooke, du 8 au 12 mars 2021
Pour un artiste, un temps de résidence est une occasion de sortir un peu de l’immédiat pour se projeter dans le temps et faire des liens. Par exemple, et pour commencer, j’aimerais revenir sur une trame qui me lie à l’Université de Sherbrooke, soit une réalisation passée, la résidence d’aujourd’hui et ce qui s’en vient.
Le souffre des dieux, 1999
Il y a maintenant plus d’une vingtaine d’années, j’ai passé une heure serrée à l’Université de Sherbrooke devant un comité de sélection hétérogène, comme doivent l’être les comités de sélection. Architecte, chargée de projet, spécialistes en arts et professeurs. Des gens de bagages disparates appelés à jeter chacun sa lumière sur des angles dont ils sont spécialistes. Un comité ad-hoc réuni une bonne journée pour s’entendre sur le choix d’une œuvre d’art avec laquelle ils allaient vivre longtemps.
Déjà, nous avions l’un de ces milliers de jurys de l’improbable, comme en a réunis au cours des ans le Ministère de la culture pour sa politique nationale d’intégration des arts à l’architecture. En cette occasion, c’est la Faculté de Génie qui allait accueillir une œuvre monumentale et permanente en ses murs. Sur la recommandation de ce comité de sélection, on me donnait le mandat d’y installer ma première sculpture d’art public en carrière.
Quoi qu’on fasse, rien ne garantit qu’on va faire l’unanimité en ce monde et un jury hétérogène n’est certes pas le chemin le plus facile pour y arriver. Néanmoins, si l’on prend la chose par l’autre bout, ce type de rencontre est une occasion unique de voir ensemble ce qui, par-delà les spécialités des uns et des autres, porte ailleurs le quotidien en ces murs. Ailleurs, dans le champ de la projection et de l’imaginaire. Même si tous ne se connaissaient pas en début de séance, je ne doute pas que ce jury ait connu des discussions animées. Bien que le sujet ne leur soit pas coutumier, je ne doute pas qu’ils l’aient pris très à cœur. Parce que c’est important.
Pour un artiste qui soumet une proposition dans un tel concours, il ne s’agit pas d’être bêtement illustratif ou littéral mais encore faut-il, je pense, adopter un état d’esprit qui soit connecté à ce qui se passe en ces lieux, y détecter quelque chose qui lui soit ductile. Et puisqu’il en sortira une œuvre d’art, espérons qu’elle portera un vertige, un déclencheur de quelque chose.
Les artistes ne sont pas les seuls dépositaires des fous rires et des instants d’émerveillement. J’imagine sans peine des scientifiques de tout acabit, s’enflammant en évoquant telle nouvelle hypothèse qui peut-être, s’avèrera être un important point de bascule dans la compréhension de leur champ de recherche. Dans la trame un peu plus linéaire du quotidien, arrivent de ces petits moments décisifs comme ceux-là, où l’on se sent vivre.
L’exposition?
Nous voilà ensuite presque un quart de siècle plus tard, en préparation d’une exposition sur le même campus et plus précisément à la Galerie d’art Antoine-Sirois, pour clôturer l’année 2021 et commencer la suivante. L’événement aura beau avoir été reporté bien plus tard en raison de la pandémie, on n’empêche pas les gens de se parler, d’échafauder des scénarios, de penser à ce qui peut sortir de bon d’une situation apparemment contrariante. On n’en a pas l’habitude, les habituels impératifs d’organisation et de calendriers ont été remis à plus tard, puisque les directives de la Santé publique étaient toujours provisoires. En lieu et place, c’est de contenus et d’enjeux de création qu’il a été question. Les échanges soutenus avec la direction de la galerie étant toujours empreints d’une grande sensibilité, il m’était évident que cette exposition était attendue, que nous y mettions ensemble beaucoup de soin et qu’elle allait mettre en lumière ce qui m’importe le plus lorsque je travaille, soit l’origine des choses, le processus en sculpture.
Comme il peut nous arriver de tomber dans des craques en temps de pandémie, s’est ouverte une brèche inattendue, une opportunité de laboratoire auprès de la communauté universitaire, par le biais d’une courte résidence au Studio de création – Fondation Huguette et Jean-Louis Fontaine.
L’exposition étant reportée, j’avais du temps pour arriver, pour repartir, vérifier ce qui apparaît possible lorsque le calendrier perd sa place prépondérante. Il n’est jamais donné à un artiste d’instaurer une telle familiarité avec un lieu d’exposition et ce, bien avant d’y présenter son exposition. En ce sens, la pandémie aura causé quelques faux-départs qui, disons-le comme ça, auront permis une plus longue sédimentation de l’expérience.
La résidence, mars 2021

À un jet de pierre de la faculté de Génie où se trouve mon installation Le Souffre des dieux, le Studio de création a été inauguré en fin d’année 2019. Il ouvre ses portes aux chercheurs de l’université pour leur offrir des espaces de travail collaboratif, des équipements de pointe et une précieuse expertise dans toutes les spécialités liées au Génie. L’on s’y rend pour expérimenter, construire des prototypes de toute nature et établir des initiatives entrepreneuriales.

Pendant la semaine passée en leur compagnie, j’allais moi aussi faire des expériences, des prototypes et des projections quant à ce qu’il me serait possible de faire avec de tels équipements mais d’un point de vue très différent, cependant.

D’entrée de jeu, je suis un artiste qui s’intéresse à ce qui se passe en amont de toutes ces œuvres accomplies qu’on voit en galerie. Derrière chacune, il y a des anecdotes à raconter, des difficultés qui se sont posées, qu’on a contournées ou même solutionnées sans que rien ne paraisse. Il s’est toujours dressé des murs plus ou moins infranchissables dès le début ou plus tard, des malentendus et même de petites épiphanies.

Ces petites percées de lumière sont bien plus courantes qu’on le croit car elles naissent d’une rencontre avec l’émerveillement et je pense que les artistes sont bons joueurs pour laisser aller le contrôle, observer ce qui naît du chaos.
J’avais très peu de temps à ma disposition, soit juste assez pour m’éveiller quant à ce qui serait possible dans le temps long, dans un cadre qui fait la part belle aux accidents de parcours ou simplement, aux chutes auxquelles on n’accorde pas d’importance, parce que le but n’est pas là.

Plus précisément, je me suis attardé dans le secteur des imprimantes 3D, à l’affût de ce à quoi ressemble un objet qui a raté la chaine de commandement entre le dessin et l’impression, entre ce que l’on veut et ce qui arrive. De quel monde proviennent donc les objets ratés de l’industrie, comment pourrait-on en rater d’autres et les détourner du chemin de l’utilitaire pour les rendre utiles à une compréhension de la matière, du travail et des résistances entre les deux.

Dans un monde idéal, les objets manufacturés n’affichent aucune singularité. Ils sont tous rigoureusement pareils en raison du contrôle de la qualité sur les chaînes de production. En outre, plus un objet manufacturé est bien fait, moins il exhibe ce comment il a été fait. C’est pourquoi ces temps-ci, il est bon pour moi de mettre à l’épreuve les penchants artisanaux qui d’habitude me font accorder une valeur aux singularités dans le travail, de même qu’à la facture de ce qui a été fait suivant certains procédés plutôt que d’autres. Cela étant, je continue à chercher ce qui, dans certaines matières et dans certaines technologies, propose un langage spécifique. C’est assurément le cas pour l’impression 3D.
Plus tard dans l’exposition, j’aurai à présenter des réalisations concrètes issues de mes expériences et observations au Studio de création. Il m’est encore difficile de préciser à quoi cela va ressembler car, en ce moment, je suis dans le plus beau bout de ce que j’ai à faire qui est de douter, de m’émerveiller et porter attention au processus qui y mènera.
Je pense que le meilleur à retenir de ce séjour avec tous ces ingénieurs repose sur le respect, la curiosité. Je reconnais cette même communauté qui m’a accueilli il y a longtemps avec ma grosse machine léonardesque et qui, partant de sa large gamme de savoirs, a accepté de jouer le jeu.
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